INBOUND MARKETING... Retour vers le futur

«Inbound marketing» ? Voilà encore un bon mot inventé par les publicitaires pour rhabiller (oups !) re-marketer le désormais classique «brand content» qui avait déjà pour objet de raconter de belles histoires afin de faire venir le client plutôt que d’aller le chercher... avant qu’il ne les zappe.

C'est-à-dire à suffisamment l'intéresser, via du contenu sélectif et à valeur ajoutée, pour l'amener à adhérer à la marque ou à l'annonceur... jusqu'à convertir son intérêt en achat, par exemple, ou à l'inviter à devenir un véritable ambassadeur. Re-marketer le passé permet, on s'en doute, de moderniser tous les discours d'avenir. Surtout celui des agences.

Mais, pour une fois, cette démarche a du bon : elle remet la qualité au premier plan, et c'est là l'essentiel.

Car on parle ici de vrais contenus, intéressants, avec des angles nouveaux, sophistiqués, experts, élégants et modernes, voire d'avant-garde. Faire sens, surprendre, enthousiasmer, intriguer, instruire parfois : ne sont-ce pas là de nobles objectifs ? Cette pacifique croisade ne vaut-elle pas d'être vécue ? partagée ? encouragée ?

LAISSER L'EXPERTISE AUX EXPERTS

Oui, à la condition d'être conduite dans les règles de l'art. Car cela équivaut, en effet, à créer et devenir son propre média, à endosser le costume de l'alchimiste poly-medias, à transformer la matière en or ! Et n'est pas éditorialiste qui veut !

Pourtant, les agences affirment le contraire : "Nous avons toujours pratiqué la création de contenu" clament-elles en chœur, avec à leur tête des messieurs Jourdain par excellence. Certes, certes, les publicitaires sont traditionnellement — et en premier lieu, des publicistes : la différence, pas toujours connue de tous, est de taille ; ils savent manier la plume et la souris, c'est un fait.


MAIS DE QUELLE NATURE EST LEUR VERBE ?

Est-il fin ? Long ? Judicieux ? Traversé de brillances et conjugué d'éloquence ? Signe-t-il, en particulier, une quelconque expertise ? Apporte-t-il cette connaissance et cette acuité que l'inbound ambitionne de transmettre à l'internaute exigeant ? Voilà une sacré prétention ! Car l'adage ne trompe pas : "On ne parle bien que de ce qu'on connaît bien" .

De fait, est-on en droit de revendiquer, en tant qu'agence, de savoir tout sur tout ? Comment bien "parler" de peintures décoratives et de chocolats, de vélos de courses et de produits d'assurances, de la politique d'une commune et d'une élégante berline ? Qui possède cette science infuse, cette omniscience, cette ouverture d'esprit pour sauter du coq à l'âne, c'est-à-dire d'un savoir expert à l'autre et ce, jusqu'à plus soif ? 

A-t-on suffisamment d’expériences et d’acquis pour se déclarer «référent» dans tous les domaines ? Sur tous les secteurs d’activités ? Au sujet de toutes les questions de société ? "Pour cela, nous faisons appel à des spécialistes externes, à des journalistes spécialisés !", avancent  les patrons d’agence avec assurance.

Mais qui va les piloter ? Qui va analyser leur point de vue ? Qui peut s'assurer du bien-fondé de leur opinion ?  Qui peut garantir la qualité de leur expertise ? "Le client !", renchériront mes confrères, convaincus.

Mais alors, si ce n'est pas l'agence qui procure le contenu, si ce n'est pas l'agence qui en vérifie la bonne nature, et si c'est le client qui doit se porter garant du résultat, pourquoi se revendiquer "inbound" ? L'agence ne doit-elle pas se cantonner à organiser les équipes ressources, à produire le média final et à le diffuser ?

À la réflexion, ce n'est déjà pas si mal. Certes, rien ne nous empêche de viser plus haut. Cependant, je vous en conjure : restons modestes. Parlons plutôt de contenu à valeur ajoutée, de valeurs tout court d'ailleurs ; parlons d'angles créatifs et d'idées motrices ; parlons de solutions ou, mieux, soulevons des questions et parfois le débat ; parlons vrai, aussi, tout simplement.

Pour cela, pour alimenter nos sujets, pour produire notre information, amplifions le savoir contenu dans chaque entreprise et chaque collectivité ; allons le chercher, l'extraire, le placer à la lumière ; puisons à la source, identifions les ressources, créons de l'empathie, exaltons les passions ; arrachons les secrets, les recettes, les savoir-faire là où ils sont pour mieux les partager sur la toile.

Oui, notre travail consiste à mettre en œuvre, pas à créer. Laissons l'expertise aux experts... et devenons nous-mêmes experts en transmission d'expertise.

Et à toutes les agences qui me répondront : "Nous, nous savons aller bien plus loin" (et il en existe, je vous rassure : des agences expertes dans des domaines et secteurs précis peuvent effectivement prétendre à occuper la place du client ou se faire la voix de l'annonceur), je les invite à parcourir leur propre site internet ou leur blog pour évaluer et mesurer la qualité de leurs contenus, la diversité des activités, la pertinence de leurs valeurs : pratiquent-elle l'inbound pour elles-mêmes ?

Allez vérifier à votre tour, vous serez surpris.

 

UN VRAI TRAVAIL ÉDITORIAL SOUS-ÉVALUÉ 

Pourtant, aujourd'hui, le marketing de contenu a du mal à trouver sa voie sur le net. À cela plusieurs raisons :

1/ D'abord, tout le monde pense savoir écrire, à commencer par le client. Au mieux, pense-t-il, si c'est réalisé en externe, la chose est suffisamment simple pour que cela ne justifie pas une rémunération convenable ; au pire, c'est juste du rewriting, de la sténo, au prix de la dactylo. Et puis il est plus fiable de compter sur ses employés, en interne : "Eux, ils savent de quoi ils parlent", juge-t-on à la Direction. Mais est-ce bien là leur rôle ? Doit-on s'étonner si, sur le moyen terme, la source s'assèche, la motivation disparaît, les sujets s'étiolent ? "Je n'ai plus le temps pour ça", clament les salariés, dépités. Et ils ont raison.

Le blog de l'agence Nile (confrères de Valence), spécialisée en marketing inbound BtoB concentre son activité sur l'industrie (quand on vous dit qu'il s'agit d'être expert !). Elle aborde avec fort professionnalisme le mode opératoire pour mettre en place une stratégie efficace, n'économisant pas sur de précieux conseils qui prolongeront notre propos. Je vous invite à visiter leur blog.


2/ Et puis, l'inbound voit ses retours sur investissement se produire à long terme. C'est long, couteux, douloureux parfois (travailler le sens et exprimer l'essentiel n'est jamais une opération anodine) et cela suppose l'immobilisation de ressources vives de la part de l'entreprise comme de l'agence. Certains confrères, pour contrer cette réalité, proposent, en guise de réassurance, des livres blancs ou avancent des arguments qu'ils voudraient convaincants : "Gagnez de nouveaux prospects et clients", "Fidélisez", "Faites-le venir à vous", en insistant lourdement sur les dispositifs à mettre en place derrière, confondant allègrement, pour justifier la performance, inbound et outbond ! On les comprend : c'est là qu'ils génèrent leurs marges principales ! Mais le brand content et le story-telling n'ont que peu à voir avec des campagnes adwords ou relevant du native advertising. Ne confondons pas, dans le même magazine, l'article de fond présenté sous forme de dossier complet et les coupons de réduction à découper dans la marge. Éventuellement, la complémentarité serait de mise ; mais il convient de rester prudent dans le mélange des genres, pour ne pas dégrader l'image de marque et les valeurs de l'annonceur... dans cette démarche de qualité qui n'attend pas un retour immédiat.

3/ Enfin, si au niveau de l'écriture, les gens d'expérience ne manquent pas (avec la crise de la presse, de nombreux journalistes tentent de négocier le virage du web), il n'en demeure pas moins que l'écriture web n'est pas celle du papier et que, quoi qu'il en soit, l'expertise est difficile à trouver.  Lors d'un récent Master class organisé par l'Union des conseils en communication auquel je participai, le big boss de l'agence 1min30 l'admettait : il n'existe aujourd'hui aucune filière préparant à cet exercice pluri-dimensionnel. Pourtant, l'enjeu est bien là : tout tient dans la qualité du contenu et dans la capacité à "nourrir" l'internaute, à l'amener à cheminer dans sa réflexion ou sa recherche d'information. Quel air aurait-on si on en savait moins que lui ? Quelle idée se ferait-il de notre annonceur, de sa marque, de ses produits ?

L'Inbound ne peut donc avoir de réalité qu'à ces trois conditions réunies :
- s'entourer d'experts pour une vraie expertise ;
- s'engager dans un travail de fond, un investissement à long terme ;
- exiger la reconnaissance d'un métier, d'un talent.


QU'À-T-ON À Y GAGNER ?

Qu'à-t-on à gagner à se présenter comme référent sur son marché ? à être jugé comme expert en son domaine ou innovant dans sa pratique ? à apparaître comme une ressource pérenne de son interlocuteur ? à faire profiter de son savoir son client qui, en miroir, lui garantira sa fidélité ? à donner un signe fort et d'excellence à l'interne comme à l'externe ?

Qu'à-t-on à gagner à niveler par le haut sa relation client ? Qu'à-t-on à gagner à titre plus personnel au regard de la satisfaction et de la fierté ? Qu'à-t-on à gagner en terme de sens ?

Je vous laisse en juger.